Peu de romans érotiques du XVIIIe siècle ont eu autant de succès que Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir. L’auteur britannique John Cleland a écrit ce texte vers 1748/49, à une époque où la littérature anglaise était certes très moralisatrice, mais où des sujets osés circulaient aussi dans les cercles de lecture privés.
Peu après sa sortie, le roman a été interdit, mais il a quand même réussi à circuler dans plein de contrefaçons, traductions et versions raccourcies. Même aujourd’hui, plus de 270 ans plus tard, le titre Fanny Hill est connu de beaucoup, même si peu de gens ont vraiment lu le texte.
Contenu : l’histoire de la vie d’une courtisane
Le roman est conçu comme une autobiographie fictive. La jeune Fanny Hill raconte rétrospectivement comment, à l’âge de 15 ans, elle arrive à Londres, se retrouve dans un bordel et est initiée au monde de l’amour tarifé.
Cleland utilise une série d’expériences épisodiques dans lesquelles Fanny décrit ses premières expériences sexuelles, parfois naïves, parfois consciemment hédonistes, parfois avec une touche comique. Le récit est moins un drame linéaire qu’une chaîne d’aventures amoureuses allant de la romance tendre à la description physique explicite.
Le texte ne se termine pas par une condamnation morale, mais par un mariage heureux avec Charles, son grand amour – une fin très inhabituelle pour la littérature érotique de l’époque.
Genèse et persécution
John Cleland a probablement écrit le roman alors qu’il était en prison pour dettes. Dès sa première publication en 1748/49, les autorités ont réagi de manière sensible :
- En 1749, la distribution a été arrêtée,
- Cleland et son éditeur ont dû répondre de leurs actes devant la justice
- et le texte a été officiellement classé comme « obscène ».
Malgré (ou peut-être grâce à) cette censure, Fanny Hill s’est rapidement répandu en Europe et en Amérique. Il a été interdit pendant plus de 200 ans en Angleterre et n’a été publié légalement dans sa version intégrale qu’en 1963 aux États-Unis et en 1970 en Grande-Bretagne.
Structure dramatique
- Introduction – Fanny écrit des lettres à une amie anonyme et lui annonce qu’elle va lui raconter sans tabou l’histoire de sa vie.
- Innocence et séduction – Elle décrit son enfance et ses premières expériences sexuelles, qu’elle ne comprend pas vraiment au début.
- Apprentissage et observation – Dans un bordel, elle observe d’autres couples et commence à découvrir sa propre sexualité.
- Épanouissement et déception – Rencontres avec différents amants, parfois sensuelles, parfois décevantes.
- Retrouvailles avec le véritable amour – Après de nombreuses aventures, elle retrouve Charles et le roman se termine par leur mariage.
Cette structure épisodique permet à Cleland d’intégrer de nombreuses scènes érotiques sans faire sombrer le personnage principal dans la dépravation morale.
Qu’est-ce qui rend ce roman spécial ?
- Un langage explicite mais artistique : Cleland évite presque complètement les mots grossiers. À la place, il utilise des périphrases, des métaphores et des comparaisons imagées qui rendent le texte sensuel plutôt que vulgaire.
- Une héroïne autonome : Fanny n’est pas un personnage tragique, mais une femme qui explore sa sexualité et ne finit pas comme une victime.
- Qualité littéraire : malgré les accusations de censure pornographique, le roman a une finesse narrative qui le distingue de la simple littérature érotique.
- Fin heureuse : à une époque où les femmes « déchues » meurent presque toujours ou finissent dans la misère dans la littérature, la fin de Fanny, qui se marie et devient riche, est remarquable.
L’accusation de pornographie
Depuis sa première publication, l’œuvre a toujours été considérée comme choquante. Aujourd’hui, on peut dire que oui, Fanny Hill est clairement érotique, parfois très explicite, mais pas pornographique au sens moderne du terme.
La pornographie vise généralement uniquement l’excitation sexuelle et renonce à toute forme d’écriture littéraire. Cleland, en revanche, crée une œuvre d’art linguistique qui allie érotisme, humour, description du milieu et caractérisation des personnages.
C’est justement ce mélange de franchise et de voile qui fait tout le charme de l’œuvre et explique pourquoi le roman a non seulement survécu, mais est sans cesse réédité, adapté et discuté.
Répercussions
- De nombreuses adaptations cinématographiques (entre autres en 1968, 1983 et 2007)
- Adaptations pour le théâtre et en roman graphique
- Mentions dans l’histoire de la littérature et de la culture comme jalon de la prose érotique
Le nom « Fanny Hill » est devenu un symbole de la littérature érotique, un peu comme « Lady Chatterley » ou « Justine ». Quand on entend ce titre, on sait tout de suite qu’il s’agit d’un sujet scandaleux, même sans connaître le roman.
Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir est plus qu’un simple roman érotique historique : c’est un document littéraire qui a repoussé les limites de son époque et qui soulève encore aujourd’hui des questions sur la morale, le désir et l’autodétermination des femmes. Son mélange d’humour narratif, de langage sensuel et de transgression des tabous sociaux en fait une œuvre qui, même au XXIe siècle, continue d’être lue et discutée.